lundi 29 juin 2009

1er juillet, fête de la Puissance

Dès la fin de juin l'aspect des environs de l'Artic avait beaucoup changé. Les rennes avaient maintenant d'abondants pàturages, le bruit des ruisseaux se faisait entendre dans les ravins, et nous ressentions un réel plaisir à voir de nombreuses et grandes mares d'eau sur la glace de la baie, qui fondait sous l'effet des rayons solaires. Tout cela contribuait à nous laisser espérer une prochaine mise en liberté du bàtiment, que les glaces avaient étreint durant de si longs mois. Non loin de nous des rennes paissaient paisiblement, qui ne faisaient pas plus attention à notre navire que si c'eùt été un des icebergs de cette région polaire. Des eiders passaient à portée de nos fusils: nous eùmes la chance d'en abattre plusieurs.

Le 1er juillet, fête de la Puissance, fut célébré par tout le monde à bord. Pour la circonstance nous pavoisàmes l'Arctic, qui prit ainsi un air de gaieté, la journée étant très belle. Au dîner nous bùmes à la santé de la Puissance et de son premier ministre, puis nous nous rendîmes tous sur le rocher de Parry pour assister au dévoilement d'une plaque commémorative fixée sur une roche, et qui, longtemps, attestera aux yeux des futurs explorateurs de ces lointaines régions, l'annexion au Canada de tout l'archipel arctique américain. En cette circonstance je· prononçai un petit discours, ayant trait à l'importance de cette prise de possession, qui résultait de la cession que le gouvernement impérial fit au Canada, ]e 1er septembre 1880, de tous les territoires britanniques situés dans les eaux· boréales du continent américain et de l'océan arctique, depuis le 60e degré de longitude Ouest jusqu'au 141e degré dé longitude Ouest, avec le pôle géographique comme limite extrême dans le nord. Je fis remarqner à mes auditeurs et compagnons de voyage que nous avions annexé un certain nombre d'îles, une par une, et de vastes territoires continentaux, et que maintenant nous en étions à établir nos droits sur toutes îles et tous territoires compris entre les longitudes 600 à 1410 Ouest, désormais sous la juridiction canadienne. À ce moment nous poussâmes trois hourras en l'honneur du premier ministre et du ministre de la Marine et des Pêcheries du Canada, puis tout le monde se dispersa pour employer le reste de la journée à sa guise. La plupart de nos hommes, pourtant si rudes, se distrairent alors à la façon des jeunes filles: cueillant des fleurs sauvages qui abondaient sur l'île, ou ramassant une foule de menus objets présentant quelque intérêt.


Durant la première semaine de juillet l'équipage enleva les superstructures provisoires d'habitation, que nous avions établies sur le pont, et il en mit les matériaux dans la cale, afin qu'ils pussent servir de nouveau si nécessaire. Car, nous envisageâmes alors la possibilité de rester dans les eaux du nord pendant une autre année, et c'est pourquoi nous mesurâmes le pétrole combustible qui nous restait. Nous constatâmes que nous en avions brûlé plus de la moitié de la quantité apportée. Il nous fallait donc être parcimonieux de ce liquide si nous devions prolonger notre voyage. Puis, nous construisîmes plusieurs cairns sur différents points. L'un d'eux, que nous surmontâmes de trois barils, fut nommé cairn de l'Ouest. Il avait 10 pieds de base et 71/2 pieds de hauteur. Nous reconstruisîmes le cairn de Parry sur la colline du Nord-Est, et y apportâmes une plaque de cuivre où étaient inscrits les, noms des navires Hecla et Griper et les millésimes 1819-20, pour indiquer l'endroit où Parry avait laissé ses fameux documents historiques. J'ajouterai que, pour lui permettre de défier les attaques du temps, la plaque de cuivre dont je parle fut fixée sur une forte pièce de chêne assujétie sur le devant du cairn. Sur la pointe Fife nous construisîmes aussi un cairn d'environ 10 pieds de hauteur dans lequel nous déposâmes des documents relatant nos ohservations et nos gestes à vVinter-Harbour.

Ces travaux achevés je donnai l'ordre à l'équipage de hisser à bord les embarcations et les traîneaux. Il est vrai la glace était encore épaisse de 5 à 6 pieds, mais sous l'eau elle était très entamée à certains endroits. Le 3 juillet il plut, ce qui nous rappela que du ciel il pouvait tomber autre chose que de la neige. Le 4, nous aperçumes quelques phoques qui se prélassaient sur la glace, au delà de la crevasse formée par la marée.

lundi 15 juin 2009

Le soleil de minuit

Le lundi, 21 juin, le second procéda à des relèvements au compas, et, afin de déterminer la déclinaison magnétique de l'endroit, releva plusieurs azimuths à différentes heures du jour. Les résultats qu'il obtint étaient différents de ceux que nous avions obtenus précédemment: nous laissons aux savants de dire pourquoi. A ce moment de l'année le soleil de minuit atteignit sa position la plus élevée au-dessus de l'horizon, et son aspect était vraiment majestueux. Nous en fûmes tous plus ou moins émus: l'astre du jour par sa présence continuelle, ayant multiplié notre énergie et notre activité.
Ce 21 juin nous tuâmes quelques bœufs musqués, qui furent apportés à bord le lendemain. Après avoir été dépouillés et vidés leur viande pesait 908 livres. Or, comme maintenant ces animaux se nourrissaient d'herbe nouvelle et de mousse, je dois ajouter que cette viande était excellente.

Carte de la baie


Comme j'avais décidé d'établir une carte de la baie à l'usage des navigateurs, avec le second et un second-maître, je pris nombre de relèvements à différents endroits. Pendant que je prenais des relèvements, M. Vanasse et deux seconds­ maîtres construisaient un cairn sur la pointe Sainte-Claire, qui est un des points les plus importants de la baie.

M. Morin revient de l’île de Banks


A ce moment de notre voyage le second-lieutenant, M. Morin, revenait avec ses hommes d’une seconde expédition à l’île de Banks. Avec eux nous revenaient aussi le mécanicien en chef, Van Koenig, et le second-maître lessard, que nous avions fait stationner au cap Providence en l’absence de M. Morin, afin qu’il puisse faire des observations météorologiques générales, et étudier le mouvement des glaces dans le détroit. MM. Koenig et Lessard devaient en outre garder une cache de provisions, à laquelle pourraient se ravitailler les expéditions qui se rendraient en traîneaux aux îles de Banks et de Victoria. Le retour à bord de ces voyageurs y apporta une augmentation d’activité qui modifia avantageusement la monotonie de notre existence. En effet, les sujets de conversation n’allaient pas manquer désormais, nos voyageurs se plaisant à raconter ce qu’ils avaient vu et observé pendant leur absence.

mardi 9 juin 2009

Le printemps à l’Île de Melville

La journée du 13 juin fut belle et chaude et le ciel clair, aussi les effets de la chaleur solaire étaient-ils visibles partout. Au tour du bâtiment, la glace était recouverte d'eau, qui provenait de la fonte de nos remparts de neige. A ce moment le vent soufflait du sud. Pendant l’après-midi, nous nous rendîmes sur la colline du Nord-Est où une croix avait été érigée et au pied de laquelle, à cette date, nous priâmes pour remercier Dieu de nous avoir protégés durant le long hiver que nous venons de passer à Winter-Harbour, sous un ciel sans soleil, et toujours en but à un froid intense et à des tempêtes violentes. Vingt-et-un des membres de la croisière étaient présents à cette manifestation religieuse.
Le lendemain, le vent du sud-ouest souffla très fort, mais il fit beau et le ciel se maintint clair. Nous commencions à apercevoir de nouveau des troupes de bœufs musqués, qui se déplaçaient sans cesse à la recherche des premières manifestations de la végétation boréale. Trois grands bœufs musqués ayant été aperçus, à environ trois milles dans le nord du bâtiment, nous nous mîmes à leur poursuite. M. Frank Hennessey et moi-même en tuâmes deux, et le matelot Tremblay le troisième. Ces animaux furent dépouillés et leur viande apportée à bord. Cette viande était bonne et tendre, mais beaucoup moins grasse que celle des bœufs musqués tués en automne. Quant aux peaux elles n'avaient guère de valeur, ces animaux perdant leur toison à ce moment de l'année. La clémence de la température invitait maintenant nos hommes à s'éloigner du bâtiment pour chasser. Cela n'était pas sans danger, car ils risquaient de se faire attaquer par des fauves

Même, l'un des nôtres eut à faire face à un ours qui se jeta sur lui au cours d'une de ces expéditions de chasse. Aussi, comme j’avais conscience de mes devoirs, quant à la sécurité de l'équipage, je mis fin à ces parties de chasse par trop dangereuses, et ce, d'autant plus que non seulement l’on avait à redouter les animaux sauvages, mais qu'il fallait aussi craindre les traîtrises de la glace, qui fondait rapidement, et recouvrait des crevasses où l'on risquait de s'engloutir.

Nous créons un chenal dans les glaces.



A Winter-Harbour la glace était tellement épaisse, même en juin, que nous ne pouvions guère espérer en sortir sans créer un chenal à travers la banquise, pour dégager notre bâtiment. Mais comme j'avais prévu cet état de choses, j'avais fait déposer les cendres provenant du navire le long du chenal projeté. Ces cendres absorbaient maintenant les rayons du soleil, facilitaient la fusion de la glace et diminuaient d'autant le travail manuel de la création du chenal en question. Le 17 juin, nous fûmes témoins, d'une éclipse partielle de soleil, qui commença à 10 h. 57 m. 10 S., temps moyen de Greenwich, fut à son maximum à 12 h. 3 m,. 30 s., et se termina à 13 h. 0 m. 30,s. Avec nos lunettes marines, nous pouvions apercevoir trois taches noires dans le soleil. MM. Jackson et McMillan observèrent ce phénomène de leur tente.
Le 18 juin, le second et 8 hommes se rendirent sur la pointe Hearne, pour y construire une grande balise à l'entrée de la baie en venant du large

lundi 1 juin 2009

Nos explorateurs reviennent de la baie de la Miséricorde

Le11juin, les 7 hommes qui avaient été envoyés à la baie de la Miséricorde avec le troisième lieutenant C. W. Green étaient de retour à bord. Ils avaient eu pour mission d'examiner le cairn érigé par le lieutenant McClure lors de son voyage de la mer de Behring à l'île de Banks, et de déterminer l'emplacement d'un filon de charbon situé à 9 milles du cap Hamilton. En outre, le lieutenant avait reçu l'ordre de rechercher les vestiges ou l'épave du navire l’Investigator abandonné, en 1853, par le capitaine McClure, et aussi, de rechercher un grand dépôt de provisions, etc., qu'en 1854, : McClure et le capitaine Krabbie avaient laissé dans ces parages.

Afin que l'on ne confonde pas les divers groupes d’explora­teurs dans leur marche, je ferai remarquer ici que le lieutenant Morin avait été envoyé en avril à l'île de Banks et qu'à son retour à l'île de Melville il avait rencontré Green et ses hommes, se rendant à la baie de la Miséricorde. Green, dans son rapport, parle de l'état d'épuisement dans lequel se trouvaient Morin et ses camarades, épuisement que Green signale à son tour chez lui et ses hommes, pendant son voyage de retour à l'île de Melville. Quant aux difficultés et aux privations elles furent les mêmes, ou à peu près, pour les deux groupes d'explorateurs, au cours de leur voyage de retour à bord. Dans les deux cas les explorateurs manquèrent de nourriture, les ours ayant détruit leurs provisions, et il leur aurait été impossible de terminer leur voyage s'ils n'avaient reçu des secours immédiats. La narration de chacun des voyages entrepris sous les ordres de Morin et Green donne, sous une forme abrégée, un intéressant compte rendu des difficultés et des rigueurs que durent endurer ces marins, pour rapporter à la civilisation les documents laissés dans les régions boréales par les premiers explorateurs qui suivirent le passage du Nord-Ouest. Tous ces efforts ne devaient pas être sans succès, car ils permirent de retrouver des vestiges des cairns construits par McClure et de confirmer la narration de son voyage de la mer de Behring à l'île de Banks. Il est bon de dire, cependant, que les documents auxquels il est fait allusion dans les pièces authentiques, que nous avons découvertes sur l'île de Melville et que nous publions dans ce rapport, ne furent trouvés ni par le lieutenant Morin ni par son collègue Green. Mais, il est évident que la preuve du passage de McClure à la baie de la Miséricorde, ressort des pièces publiées et des vestiges de cairns et de dépôts de provisions trouvés par ce hardi navigateur sur divers points de l'île de Banks.


Relèvements et amplitudes


Le 12 juin comme il faisait beau temps, de la poupe du navire, nous fîmes un tour d'horizon, et procédâmes au relèvement de toutes les balises. Nous fîmes aussi le relèvement de tous les principaux points du voisinage, à partir du cap Bounty jusqu'à la pointe Hearne, en visant successivement la pointe Reef, la colline du Nord-Est, celle du Nord:Ouest, le rocher de Parry et la pointe Vanasse. Nous relevâmes aussi tous les mâts de pavillons que nous avions plantés dans la glace, sur les points où nous avions recueilli des sondes. Ces relèvements furent pris dans le but de dresser une carte des parties intérieures et extérieures de la rade de Winter-Harbour. Nous nous livrâmes à ce travail à plusieurs reprises, et à des heures différentes du jour, car les observations faites le matin ou le soir sont plus exactes que celles du midi. En autre, nous observâmes plusieurs amplitudes à différentes dates, le matin, le midi et le soir, pour déterminer la déclinaison magnétique. Nous constatâmes qu'elle variait de 103° à 98°. Est, ce que nous ne pouvions nous expliquer, le vent soufflant de différentes directions au cours de nos observations, et le soleil étant plus brillant et plus chaud à certains moments qu'à d'autres. Il est très probable que les écarts de déclinaison n'étaient pas étrangers aux variations de la température aux différentes heures du jour. Le météorologiste qui était avec nous se livra à terre aux mêmes observations. Il obtint les mêmes résultats, bien que ses instruments fussent meilleurs que ceux que nous avions à bord. Bref, nous déplaçâmes le compas, le mîmes sur des piliers de glace: toujours nous trouvâmes les mêmes résultats, ce qui prouve que l'aiguille aimentée n'était pas, à bord, influencée par des actions perturbatrices locales.