lundi 25 mai 2009

Zoologie boréale, ophtalmie et balises

… je continue la narration des observations et des faits les plus importants, notés quotidiennement à la fin de mai et au commencement de juin, parce qu'ils influèrent sur notre voyage, et aussi, afin de donner au lecteur des renseignements généraux touchant la zoologie boréale. Le 25 mai, après s'être rendu à la pointe Hearne et avoir exploré plusieurs parties de l'île, M. McMillan, géologue, revint à bord. Il nous fit part que ceux de nos hommes qui avaient accompagnés le lieutenant Green jusque dans le détroit de McClure étaient retournés en bonne santé au cap Providence. Cependant, quelques-uns de ces hommes souffraient d'ophtalmie causée par la vue de la neige, bien qu'ils eussent emporté des conserves. Mais ces lunettes ne rendaient pas toujours de bons services, étant donné la nuance peu convenable de leurs verres, qui n'empêchait pas les rayons solaires réfléchis par la glace d'affecter la vue. Le groupe dont il s'agit retourna à bord le 29 mai, commandé par Thomas Holden, l'ophtalmie ayant presque aveuglé le second-maître Chassé. Au cours de leur voyage, ces hommes avaient tué plu­sieurs lagopèdes. De notre côté, nous venions d'entendre, pour la première fois, le cri caractéristique d'oiseaux qui émigraient vers le nord. Le 1er juin, ainsi que je l'ai dit, à cause du mauvais temps, il fallut momentanément discontinuer la cons­truction des balises en pierre. J'en profitai pour faire sortir de la cale de l'avant les provisions dont nous aurions besoin pendant un mois. A ce moment, nous nous aperçûmes que nous étions obligés d'enlever les provisions de 6 mois pour atteindre le charbon qui se trouvait au-dessous.

Le 3 juin, nous reprîmes les travaux de construction des balises, pendant qu'avec le charpentier je construisais les barils que nous comptions placer à la partie supérieure de ces amers. Le 5 juin, nous recueillîmes un certain nombre de sondes au delà de la baie, et constatâmes que la glace avait à cet endroit 91 pouces d'épaisseur. Je me rendis à 4 milles dans le sud du navire et ne pus apercevoir la mer libre. Le 7, je fis sonder la baie sur les alignements fournis par les amers: il y avait au moins 7 brasses de fond. Je fis ensuite peindre par les hommes les balises que nous avions construites: en blanc celles qui avaient pour fond le paysage environnant, et en noir celles qui se découpaient sur le ciel. Ces balises étaient solidement cons­truites, et celles placées le plus avant dans les terres avaient un diamètre de 9 pieds à la base et 8 pieds de hauteur; les autres, plus petites, étaient établies sur terre ou sur les rochers de la côte

lundi 18 mai 2009

Poursuivons le récit des travaux d’intendance


Nous avions à bord trois chronomètres, dont l'un s'arrêta le 20 mai, sans doute à cause de l'humidité qui pénétrait dans la chambre où il se trouvait, chaque fois que l'on ouvrait la porte de la cabine pour aller examiner l'échelle de marée ou se rendre compte de la direction du vent. Ce chronomètre continua à marcher par la suite quand il faisait beau temps, mais il fallut tenir compte de ses écarts. Je ferai remarquer ici que si notre anémomètre enregistrait automatiquement les parti­cularités du vent, notre échelle de marée nécessitait au contraire des observations de dix minutes: une demi-heure avant la haute-mer, et une demi-heure avant la basse-mer. Entre ces deux phases, la lecture de l'appareil était faite toutes les heures. Le 23 mai la journée fut désagréable, le vent qui soufflait du nord amoncelant la neige, ce qui nous empêcha tous de quitter le bâtiment. Il y eut, ce jour-là, service religieux à bord, auquel assistèrent les membres de l'expédition. Le reste de la journée fut consacré à la lecture. Je ferai remarquer que quelques-uns des livres que nous avions à bord n'étaient pas aussi instructifs qu'ils auraient pu l'être, et que, si l'on donne aux hommes des relations de voyages, ou des ouvrages traitant d'histoire ou de choses utiles, ils s'adonnent avec satisfaction à l'étude.


La fête Victoria


Nous chômâmes le 24 mai, jour de la fête Victoria. En cette occasion je fis pavoiser le bâtiment, en souvenir du règne glorieux de notre défunte souveraine. Officiers et hommes de l'équipage descendirent à terre pour s'y distraire à leur guise. Tous retirèrent le plus grand bien des promenades qu'ils firent à cette date, après avoir vécu si longtemps à bord. A l'heure du dîner tout le monde était de retour. Nous mangeâmes des grillades de viande d'ours. A bord de l'Arctic ce mets était passable, mais il ne le serait peut-être pas au milieu de la civi­lisation. Quelques discours furent prononcés, en réponse aux santés portées au dîner de ce jour férié.


Balisage de Winter-Harbour


Nous employâmes les belles journées du reste du mois à ériger des balises en pierre sur la côte de Winter-Harbour. Nous avions dressé une carte de ce port, maintenant nous le balisions, afin d'assurer la navigation du bâtiment vers l'un de ses points, où l'Arctic avait déjà mouillé à son arrivée. Durant la dernière partie du mois de mai le temps ayant été variable, nous dûmes parfois interrompre nos travaux à cause des bour­rasques et des bancs de neige. Il faut dire que nous avions décidé de construire onze amers en pierre, afin d'assurer la sécurité de la navigation. Car, bien que la baie soit assez pro­fonde pour les navires d'une grande calaison, dans l'alignement des balises, elle est exposée aux vents tempétueux de cette région. Nous eûmes, du reste, l'occasion de le constater maintes fois, et tout particulièrement à la fin de mai et le 1er juin, alors que nous essuyâmes un véritable cyclone d'une vitesse de 80 milles à l'heure qui amoncela la neige à vue d'œil. C'est dire qu'il nous fut impossible de travailler au dehors du navire à cette date. A ma grande surprise j'appris que les bourrasques qui nous avaient fait suspendre nos travaux, ne furent pas ressenties par ceux de nos hommes qui se trouvaient au cap Providence. Apparemment, cela tient à ce que les vents qui viennent du nord-ouest après avoir traversé la baie Hécla et Griper, et le golfe de Liddon, passent au-dessus de Winter-Harbour. (La baie Hécla et Griper fut ainsi nommée par Parry, en souvenir des navires de ce nom qu'il commanda.). Quoiqu'il en soit de ces vents violents, leur absence au cap Providence, qui n'est qu'à environ 35 milles marins dans l'ouest-sud-ouest de Winter-Harbour, explique pourquoi il fait beaucoup plus doux en tout temps au cap Providence que dans la baie dont je parle. Au surplus, la force moyenne mensuelle du vent était beaucoup plus élevée à Winter-Harbour que partout où nous avions déjà passé l'hiver, mais, par contre, l'atmosphère y était plus claire.

En somme, sauf l'inconvénient des grands vents, cette baie convient très bien à l'hivernage, à cause des crevasses que les marées produisent dans ses glaces: crevasses qui, au printemps, permettent aux bâtiments de regagner les eaux libres par leur propres moyens. Car, il n'est pas sage de se faire prendre dans une baie ouverte, parce que, au printemps, quand toute la glace de la baie dérive, elle emporte avec elle les bâtiments qu'elle retient. Telle fut la cause de la perte des navires de plusieurs expéditions, entreprises dans les parages où se trouvait l'Arctic. Pris dans les glaces ils furent emportés par elles, sans pouvoir s'en dégager à temps.

En outre, vVinter-Harbour est une excellente localité pour se procurer de la viande fraîche. Pour notre part nous n'eûmes aucunes difficultés à nous en procurer, en automne, en hiver et au printemps. Je ne, sache pas qu'aucune autre expédition ait jamais eu autant de viande fraîche, dans l'arctique, qu'il s'en trouva à mon bord, sur la côte de la belle île de Melville. Winter­Harbour se trouve donc dans une contrée très giboyeuse, et le lecteur l'a déjà remarqué sans doute. C'est à cela que j'attribue l'absence du scorbut durant notre séjour à l'île de Melville; scorbut qui fait la terreur des explorateurs de l'arctique, obligés de manger par trop de salaisons. Je renouvelle donc ici, et avec plus d'instance, si possible, à propos de l'île de Melville, les conseils que j'ai donnés quant à l'adoption de règlements de chasse, principalement pour la terre d'Ellesmere et autres lieux. Car, l'île de Melville est probablement appelée à devenir le rendez-vous des bâtiments en croisière dans l'arctique, et l'un des principaux points où se fera sentir, dans l'extrême nord, l'influence grandissante de la juridiction canadienne.

lundi 11 mai 2009

Calfatage de l'Arctic et sondage de Winter-Harbour.

Le 11 mai, comme la neige qui entourait les œuvres mortes du navire avait disparu, je donnai l'ordre au charpentier et aux matelots de calfater le bâtiment; en même temps, avec le second, je commençai à recueillir des sondes dans la baie. Nous continuâmes ce travail jusqu'à la fin du mois. A ce moment de l'année nous commençâmes à voir des perdrix, dont la première fut tuée d'un coup de fusil tiré du pont du navire. Au cours de notre première semaine de travail dans la baie nous en fîmes la triangulation, et repérâmes ses points principaux. Puis, avec le charpentier du bord, j'altérai un traîneau d'expédition destiné à un second voyage de M. Morin, et rem­plaçai les garnitures en os de baleine des patins par des garni­tures en acier, qui sont bien préférables au printemps. Déjà, le second lieutenant se préparait à faire un nouveau voyage à l'île de Banks. Il se mit en route le 17, comme il commençait à pleuvoir pour la première fois depuis l'hiver. Dans sa nouvelle expédition M. Morin était accompagné par les matelots William Doyle, William LeBel et Reuben Pike, plus M. Koenig, mécani­cien en chef, et le second-maître J oseph Lessard, qui firent route avec eux jusqu'au cap Providence. Nous nous attendions à ce que ces explorateurs rencontrassent le groupe sous les ordre de M. Green qui, maintenant, devait être en route, revenant du cap Providence, après avoir accompli sa mission à la baie de la Miséricorde, à destination de laquelle il était parti le 1er mai. Nous espérions que si M. Morin ne rencontrait pas Green et les siens, il pourrait, tout au moins, se rendre compte s'ils n'étaient pas en détresse. Je donnai ordre au second lieute­nant de déposer des documents commémoratifs sur les îles de Victoria et de Banks, d'y rechercher la présence de filons de charbon dont il déterminerait la position, et enfin, de rapporter à bord tous les documents qu'il trouverait au cours de son voyage. Le 18, il souffla une forte brise du nord-ouest, propice aux explorateurs déjà en route depuis la veille.



Chasses de printemps

De nouveau nous commencions à apercevoir des bœufs mus­qués en grand nombre. Nous en tuâmes 13 pour avoir de la viande fraîche, et capturâmes vivant un jeune veau, qui fut confié au maître d'hôtel et aux garçons de table. Ils le nour­rirent de lait concentré et de bouillie de farine d'avoine. J'or­donnai à tous les hommes disponibles de rapporter à bord l'ex­cellente viande des 13 animaux tués.

Toilette du bâtiment

Nous employâmes le reste de la semaine à gratter les boise­ries du navire et à le nettoyer dans le but de le peindre pro­chainement; puis nous inspectâmes complètement l'Arctic et il fut repeint dans toutes ses parties, y compris la chambre des machines. A ce moment notre navire était en meilleur état que lorsqu'il quitta le quai pour entreprendre sa longue croisière. Durant l'hiver il nous avait offert un abri assez confortable, nul n'ayant eu à souffrir à bord, sinon à la suite d'imprudences personnelles ou d'un manque d'énergie. Que, si durant notre séjour dans les glaces de la literie fut mouillée: par l'humi­dité pénétrant par les portes fréquemment ouvertes, par la va­peur venant de la cuisine ou par celle de la liquéfaction de la glace destinée à l'eau potable, toujours nous donnâmes l'ordre de faire sécher cette literie dans la chambre des machines, ou près des poêles. C'est dire que si quelqu'un eut à souffrir le moindrement de cet état de choses, il faut l'attribuer à un manque de discipline de la part des hommes, et à leur désobéis­sance.

lundi 4 mai 2009

Le soleil de minuit

Pendant que O-J Morin et son groupe, ou ce qui en reste, tentent d’atteindre l’île de Banks la vie se poursuit sur et autour de l’Arctic

Le 2 mai fut pour nous une journée remarquable, le soleil, n'étant pas descendu au-dessous de l'horizon pendant 24 heures. La température montait rapidement, le 3 mai elle fut de 4 degrés au-dessus de zéro. Nous rapportâmes à bord les provi­sions que nous avions déposées provisoirement sur la glace, et fîmes certains préparatifs, précurseurs des travaux de prin­temps. Le changement extrême d'une nuit perpétuelle en un jour ininterrompu permit d'entrevoir de satisfaisantes explorations sur terre, et la fonte de la banquise qui depuis de longs mois nous emprisonnait comme dans un étau. Le 3 mai, grâce à la continuité de la chaleur solaire pendant 24 heures, nous vîmes pour la première fois, depuis longtemps, de l'eau à ciel ouvert.

A cette date, M. Jackson, le météorologiste, me fit part des résultats qu'il avait obtenus au cours de trois observations qu'il avait faites dans son voyage au cap Bounty…

…Nous en conclûmes que la déclinaison avait diminué depuis l'époque où Parry l'avait observée. A Winter-Harbour, lors du séjour de l'Hecla et du Griper, en 1819-20, elle était de 127 degrés, et seulement d'environ 98 degrés Est lors du séjour de l' Arctic, au même endroit, en 1908-9. On conçoit que ces variations de l'aiguille aimantée rendent difficile la navigation dans la zone arctique. Aussi, lorsqu'il s'agit de voyager en traîneau, on ne peut guère s'orienter exactement que d'après la position du soleil ou des astres. C'est pourquoi si nos voyageurs emportaient des compas, ils ne s'en servaient pas par le beau temps. Chacun de ceux de nos officiers qui commandait une escouade d’explorateurs, partis comme nous l'avons dit, avait en poche une carte de route sur laquelle était marquée la position que devait occuper le soleil toutes les vingt minutes, pendant les 24 heures du jour astronomique. Naturellement, cette carte ne pouvait convenir que durant la période de l'année où la lumière du soleil brille continuellement. Puisque je parle maintenant de nos explorateurs, je ferai part du regret que je ressentis de n'avoir pu disposer d'attelages de chiens pour leurs traîneaux. Car, si nous avions eu de ces animaux nos explorations et nos voyages auraient été plus rapides, nous aurions pu voir plus de pays, les recherches de nos savants auraient été plus complètes, et ceux des nôtres qui se rendirent à l'île de Banks auraient enduré beaucoup moins de fatigue. Nul n'ignore, en effet, que l'on voyage très lentement, et avec de grandes difficultés, quand on est obligé de tirer après soi les provisions dont on a besoin, tout en marchant sur une couche de neige peu résistante…

…Au cas où l'on entreprendrait de nouveau de pareilles expédi­tions, je conseille l'emploi de chiens d'attelage, et désirerais que l'on s'en procurât une centaine si l'Arctic devait accomplir une mission analogue à celle de 1908-9…

Observations ichtyologiques faites à Winter-Harbour

Le 6 mai, comme l'eau était visible à l'arrière du bâtiment, j'y vis quelques poissons et parvins à en capturer trois à l'aide d'un panier, dont l'un avait environ 4 pouces de long, et appar­tenait à la famille des corégones. Je recueillis aussi quelques mollusques, tant est riche la faune de ces eaux boréales. Je donnai à M. Frank Hennessey les poissons que je venais de prendre, parce qu'il est assez bon taxidermiste et qu'il avait mission de rédiger un rapport sur les quadrupèdes, les oiseaux, les pois.sons, etc., que nous capturerions durant notre expédition.


Nos explorateurs reviennent de l'île de Banks

Le 8 mai, les cinq hommes qui avaient accompagné les traîneaux de l'expédition qui se rendait à l'île de Banks, revin­rent à bord et m'informèrent qu'ils avaient accompagné Morin jusqu'à 30 milles au sud-ouest du cap Providence. A leur retour ils avaient rencontré Green et les siens, qui se dirigeaient vers l'île de Banks, tout le monde était en parfaite santé. Mais M. Green ayant appris que M. Morin trouvait que son grand traîneau était très lourd, donna ordre à ces hommes de retourner auprès de cet officier, afin de l'aider à traverser le détroit. Ayant rejoint M. Morin, celui-ci leur dit d'aller l'attendre pendant douze jours au cap Providence, puis, ce laps de temps écoulé, de s'en retourner à bord. Or, comme, après les douze jours en question, M. Morin n'était pas revenu, ces cinq hommes avaient quitté le cap Providence pour regagner l’Artic. Le 10 mai, M. Morin et ses compagnons de route, Napoléon Chassé et Reuben Pike, qui avaient été envoyés aux îles de Banks et de Victoria pour les annexer, étaient de retour à bord…


…Morin, Chassé et Pike annexèrent les îles de Banks et de Victoria, au cours de leur voyage et en laissèrent la preuve dans un document qu'ils placèrent sur le cap Russell. Document qui relate l'annexion de ces deux îles.