lundi 18 mai 2009

Poursuivons le récit des travaux d’intendance


Nous avions à bord trois chronomètres, dont l'un s'arrêta le 20 mai, sans doute à cause de l'humidité qui pénétrait dans la chambre où il se trouvait, chaque fois que l'on ouvrait la porte de la cabine pour aller examiner l'échelle de marée ou se rendre compte de la direction du vent. Ce chronomètre continua à marcher par la suite quand il faisait beau temps, mais il fallut tenir compte de ses écarts. Je ferai remarquer ici que si notre anémomètre enregistrait automatiquement les parti­cularités du vent, notre échelle de marée nécessitait au contraire des observations de dix minutes: une demi-heure avant la haute-mer, et une demi-heure avant la basse-mer. Entre ces deux phases, la lecture de l'appareil était faite toutes les heures. Le 23 mai la journée fut désagréable, le vent qui soufflait du nord amoncelant la neige, ce qui nous empêcha tous de quitter le bâtiment. Il y eut, ce jour-là, service religieux à bord, auquel assistèrent les membres de l'expédition. Le reste de la journée fut consacré à la lecture. Je ferai remarquer que quelques-uns des livres que nous avions à bord n'étaient pas aussi instructifs qu'ils auraient pu l'être, et que, si l'on donne aux hommes des relations de voyages, ou des ouvrages traitant d'histoire ou de choses utiles, ils s'adonnent avec satisfaction à l'étude.


La fête Victoria


Nous chômâmes le 24 mai, jour de la fête Victoria. En cette occasion je fis pavoiser le bâtiment, en souvenir du règne glorieux de notre défunte souveraine. Officiers et hommes de l'équipage descendirent à terre pour s'y distraire à leur guise. Tous retirèrent le plus grand bien des promenades qu'ils firent à cette date, après avoir vécu si longtemps à bord. A l'heure du dîner tout le monde était de retour. Nous mangeâmes des grillades de viande d'ours. A bord de l'Arctic ce mets était passable, mais il ne le serait peut-être pas au milieu de la civi­lisation. Quelques discours furent prononcés, en réponse aux santés portées au dîner de ce jour férié.


Balisage de Winter-Harbour


Nous employâmes les belles journées du reste du mois à ériger des balises en pierre sur la côte de Winter-Harbour. Nous avions dressé une carte de ce port, maintenant nous le balisions, afin d'assurer la navigation du bâtiment vers l'un de ses points, où l'Arctic avait déjà mouillé à son arrivée. Durant la dernière partie du mois de mai le temps ayant été variable, nous dûmes parfois interrompre nos travaux à cause des bour­rasques et des bancs de neige. Il faut dire que nous avions décidé de construire onze amers en pierre, afin d'assurer la sécurité de la navigation. Car, bien que la baie soit assez pro­fonde pour les navires d'une grande calaison, dans l'alignement des balises, elle est exposée aux vents tempétueux de cette région. Nous eûmes, du reste, l'occasion de le constater maintes fois, et tout particulièrement à la fin de mai et le 1er juin, alors que nous essuyâmes un véritable cyclone d'une vitesse de 80 milles à l'heure qui amoncela la neige à vue d'œil. C'est dire qu'il nous fut impossible de travailler au dehors du navire à cette date. A ma grande surprise j'appris que les bourrasques qui nous avaient fait suspendre nos travaux, ne furent pas ressenties par ceux de nos hommes qui se trouvaient au cap Providence. Apparemment, cela tient à ce que les vents qui viennent du nord-ouest après avoir traversé la baie Hécla et Griper, et le golfe de Liddon, passent au-dessus de Winter-Harbour. (La baie Hécla et Griper fut ainsi nommée par Parry, en souvenir des navires de ce nom qu'il commanda.). Quoiqu'il en soit de ces vents violents, leur absence au cap Providence, qui n'est qu'à environ 35 milles marins dans l'ouest-sud-ouest de Winter-Harbour, explique pourquoi il fait beaucoup plus doux en tout temps au cap Providence que dans la baie dont je parle. Au surplus, la force moyenne mensuelle du vent était beaucoup plus élevée à Winter-Harbour que partout où nous avions déjà passé l'hiver, mais, par contre, l'atmosphère y était plus claire.

En somme, sauf l'inconvénient des grands vents, cette baie convient très bien à l'hivernage, à cause des crevasses que les marées produisent dans ses glaces: crevasses qui, au printemps, permettent aux bâtiments de regagner les eaux libres par leur propres moyens. Car, il n'est pas sage de se faire prendre dans une baie ouverte, parce que, au printemps, quand toute la glace de la baie dérive, elle emporte avec elle les bâtiments qu'elle retient. Telle fut la cause de la perte des navires de plusieurs expéditions, entreprises dans les parages où se trouvait l'Arctic. Pris dans les glaces ils furent emportés par elles, sans pouvoir s'en dégager à temps.

En outre, vVinter-Harbour est une excellente localité pour se procurer de la viande fraîche. Pour notre part nous n'eûmes aucunes difficultés à nous en procurer, en automne, en hiver et au printemps. Je ne, sache pas qu'aucune autre expédition ait jamais eu autant de viande fraîche, dans l'arctique, qu'il s'en trouva à mon bord, sur la côte de la belle île de Melville. Winter­Harbour se trouve donc dans une contrée très giboyeuse, et le lecteur l'a déjà remarqué sans doute. C'est à cela que j'attribue l'absence du scorbut durant notre séjour à l'île de Melville; scorbut qui fait la terreur des explorateurs de l'arctique, obligés de manger par trop de salaisons. Je renouvelle donc ici, et avec plus d'instance, si possible, à propos de l'île de Melville, les conseils que j'ai donnés quant à l'adoption de règlements de chasse, principalement pour la terre d'Ellesmere et autres lieux. Car, l'île de Melville est probablement appelée à devenir le rendez-vous des bâtiments en croisière dans l'arctique, et l'un des principaux points où se fera sentir, dans l'extrême nord, l'influence grandissante de la juridiction canadienne.

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