lundi 20 juillet 2009

Chenal Byam-Martin et île Griffith

Je me décidai à voguer vers le nord en suivant le chenal Byam-Martin, je m'y engageai donc sur une distance de 27 milles, mais comme, au delà, ce bras de mer était absolument bloqué par les glaces, je fis amarrer le bâtiment à la banquise, dans l'espoir de trouver un passage quelconque. Malgré toute notre vigilance, nous étant trouvés dans l'impossibilité d'aller de l'avant, nous nous laissâmes dériver dans le sud et allâmes mouiller sous le vent de la pointe Griffith, par des fonds de 15 brasses. Le lendemain matin, MM. Jackson et McMillan se rendirent à terre pour faire quelques observations et recueillir des spécimens pouvant les intéresser.

Pointe Griffith, île de Melville.

Ainsi que je l'ai dit, cette île est très belle, nous en eûmes de nouvelles preuves en débarquant près de la pointe Griffith, où nous vîmes huit bœufs musqués, puis six autres le lendemain, 16 août. Nous laissâmes ces animaux paître en toute tranquilité, car notre but en nous rendant à terre était de recueillir des spécimens de toutes sortes, pouvant enrichir nos collections d'histoire naturelle. Dans cette occasion, nous recueillîmes quelques morceaux de charbon assez gros pour qu'ils puissent être analysés à notre retour, ou placés dans les vitrines du musée géologique d'Ottawa. En outre, sur un rocher élevé de 80 pieds au-dessus du niveau de la mer, à 2 milles à l'ouest de la pointe Griffith et à un mille dans les terres, nous érigeâmes un petit cairn de 5 pieds de haut.

Des collines où nous nous trouvions, nous vîmes que la glace s'en allait, ce qui nous engagea à faire route vers l'île Byam-Martin. A minuit, nous nous trouvâmes à 28 milles au nord-nord-est de la pointe Griffith, et rencontrâmes de grands champs de glace formés durant le dernier hiver. Nous en suivîmes les chenaux dans la direction du nord-est. Ils nous menaient vers l'extrémité nord de l'île Byam-Martin. A ce moment nous recueillimes maintes sondes par des fonds de 56 à 60 brasses. L'Arctic n'avançait que très lentement, et fut complètement arrêté par les glaces. Même, il commença alors à dériver en arrière vers le sud, avec les glaces, par des fonds de 108 brasses. Le lendemain matin, 18, le vent sauta au nord-ouest, devint très violent et refoula les glaces vers la terre. Pendant que nous dérivions avec la banqnise vers le sud-ouest, nous recueillîmes des sondes de 65 brasses. Nous n'apercevions alors qu'un étroit chenal qui suivait le rivage, mais nous eussions été peu sages de nous y engager. La glace contre laquelle nous luttions maintenant, appartenait à la banquise polaire dont elle s'était détachée, pour suivre le chenal qui sépare l'île Byam-Martin de la pointe Griffith.

lundi 13 juillet 2009

Départ de Winter-Harbour

Dans la nuit du 11 août nous fûmes obligés de tenir la machine constamment sous pression, afin de parer les glaçons qui dérivaient de notre côté sous la poussée du vent ; mais comme il finit par mollir, et que des chenaux s’étaient formés près de nous dans la banquise, nous nous empressâmes d’y engager le bâtiment; ce qui fit que le 12, à minuit, l'Arctic avait définitivement quitté les eaux de Winter-Harbour. A partir de ce moment, nous avançâmes en suivant le labyrinthe des éclaircies ou chenaux qui s'étaient formés dans les glaces. Le vent soufflait de l’Ouest, et il neigeait. un peu. Le bâtiment voguait avec la marée. Nous étions déjà arrivés à la hauteur du cap Wakeham; nous y fûmes pris dans les glaces et immobilisés toute la nuit. Nous aperçûmes la pointe Halse, mais nous ne pûmes la doubler en serrant la côte de près, à cause des hauts fonds qui s'y trouvent. Je m'aperçus alors que cette pointe s’avance plus loin que ne l'indiquent les cartes marines. On peut la reconnaître facilement par le grand nombre de glaçons qui s'y échouent, ce qui donne à cette pointe l’aspect d'un long chapelet de petits icebergs. Au large du cap Wakeham nous amarrâmes le bâtiment à une banquise, ce qui nous permit de remplir nos réservoirs d'eau douce. La jour­née était calme et brumeuse, mais avant sa fin une saute de vent qui nous valut une forte brise de l'ouest chassa le brouillard
et nous permit d'avancer lentement à travers les glaçons, jusqu'à 5 milles au large de l'île Dealy, alors que nous fûmes obligés de stopper. Le samedi, 14 août, nous laissâmes derrière nous l'île Dealy et voguâmes vers l’Est en suivant la côte de l’île de Melville. Le vent changeait souvent de direction, sautant de l’ouest au nord, ce qui contribuait à élargir les chenaux dans les glaces. Nous recueillîmes des sondes qui nous donnèrent des fonds de plus en plus grands, de 15 à 40 brasses. Il ventait maintenant très fort; nous amenâmes nos voiles, et fîmes route au vent vers le chenal Byam-Martin; où nous constatâmes qu'il y avait beaucoup de glace, mais très morcelée.

lundi 6 juillet 2009

Appareillage de l’«Artic»

Comme nous avions hâte de quitter Winter-Harbour et de poursuivre notre voyage, je fis appareiller l'Arctic pour qu'il fut prêt à partir le plus tôt possible. A titre d'essai je fis donc mettre la machine sous pression, et constatai avec satisfaction que les machines de propulsion, le treuil, le guindeau et les appareils électriques étaient en bon état. Le bâtiment calait alors 17 pieds 10 pouces à l’avant et 19 pieds 10 pouces à l’ar­rière; c'est-à-dire qu'il était en excellente condition pour entreprendre un voyage dans les glaces. Le 30 juillet la banquise de la baie se mit à dériver d’une vingtaine de pieds vers le sud­ouest. Comme je crois l'avoir dit, depuis quelque temps nous nous étions efforcés de pratiquer un chenal dans les glaces, afin de dégager l'Arctic. Ce travail avait avancé d'une façon satisfaisante. A la fin du mois le navire put changer de cap à l'endroit même où il avait passé l'hiver, la glace n'offrant plus à ce moment une résistance absolue. Cependant, avant de tenter quoi que ce fût pour mettre l'Arct'ic en marche, je m'en éloignai quelque peu avec le second, afin de constater l’état de la glace au large de la baie. J'éprouvai quelque jjoie de voir qu'elle fondait rapidement et dérivait. Le 2 août, en se comportant à la façon d'un brise-lames, l'Arctic put s'avancer vers l'entrée de la baie, par des fonds de 10 brasses. La banquise se détachait alors de la pointe Hearne et dérivait vers l'’Est dans le détroit.

C'est dire que maintenant nous allions quitter le lieu où nous avions passé de longs mois d1hivernage, tantôt constamment sous le soleil, tantôt continuellement dans les ténèbres, ce qui devait nous empêcher d'oublier notre séjour dans ces parages. Le 3 août, un vent violent souffla du nord-ouest, à la vitesse de 40 milles à l'heure. Cependant, comme j'avais encore des documents à laisser à terre, je me rendis sur les collines qui entouraient Winter-Harbour, et aperçus, de là, la glace qui dérivait dans le détroit. Une large crevasse, que je constatai alors dans la banquise, semblait nous promettre un prompt départ; aussi, fis-je embarquer immédiatement à bord tout ce qui était sur la côte et que nous voulions emporter. Parmi ces objects je citerai tout spécialement la tente de M. Jackson, le météorologiste, ses appareils, etc. Le 3 août, à 2 h. de l’après-midi, la banquise de la baie se détacha franchement du rivage et nous emporta à la dérive avec elle, vers l'extrémité d'un banc où la sonde accusait des fonds de trois bras'ses, et demie. Comme nous avions hissé nos ancres, je fis faire machine en avant à toute vapeur. Cela nous permit de dériver dans la baie, et de mouiller près de la balise principale. Dans le détroit, je l'ai déjà fait remarquer, la glace dérivait vers l'Est. A 8 h. du soir elle bloqua de nouveau la baie, mais comme nous étions constamment sous vapeur, nous pûmes nous avancer dans la partie intérieure de celle-ci et amarrer notre navire, qui était sur des fonds de 3 3/4 brasses d'eau, à marée basse. Le vendredi, 6, les parties extérieure et intérieure de la baie étaient fort encombrées de glaçons. L'impossibilité où nous nous trouvions de prendre la mer, m’engagea à me rendre à terre ,sur une colline élevée, pour voir quel était l'état de la glace au large de la baie. Dans le détroit elle dérivait toujours vers l'Est. Cette dérive était si considérable sur la côte de l'île de Melville, que du nid de corbeau il était impossible de voir la mer libre. Je fus donc obligé de continuer mes observations sur le mouvement des glaces. Dans ce but, je me rendis à Fife-Harbour en compagnie de M. Vanasse et de N. Chassé, pour me rendre compte si la mer était libre dans l'Est, direction que nous désirions prendre en quittant Winter-Harbour. Je ferai remarquer qu'en nous rendant à pied à Fife-Harbour, nous aperçûmes des morceaux de charbon tout le long de la grève, ·mais aucun gisement.

A 6 h. du soir, ce même jour, pendant que le navire virait sur ses ancres, il fut menacé par un grand glaçon qui dérivait sur lui. Nous fûmes obligés de donner de la chaîne pour ne point compromettre la sécurité du bâtiment. Le 8, nous fûmes de nouveau menacés de la même façon, par un glaçon qui en dérivant dans la baie entraîna notre ancre de bâbord à marée basse, ce qui nous fit talonner sur fond de vase. Aussi, dûmes-nous hisser nos ancres et faire machine en avant à toute vapeur vers la partie extérieure de la baie, où nous mouillâmes par 10 brasses de fond. Le 9, le vent souffla du sud, et le ciel demeura couvert. Ce vent poussa la glace sur la côte, mais comme la mer agissait sur la banquise et les glaçons, elle finit par les rompre, ce qui nous mettait à l'abri .de tout danger. A ce moment, je descendis de nouveau à terre, pour observer, d'une colline, le mouvement des glaces dans le détroit. Au cours de ces observations j’aperçus une troupe de bœufs musqués mais je décidai de ne point tirer dessus pour le moment. Par la suite nous les dirigeâmes vers le bâtiment et en tuâmes neuf. Il nous fallut tout un jour pour les dépouiller, les vider, et emporter leur viande à bord. En cette occasion nous capturâmes un veau qui fut transporté vivant sur l'Artic. Au moment d’attaquer ces bœufs musqués, leur chef, un mâle de forte taille, rassembla tous ses congénères et, seul, fit semblant de vouloir foncer sur nous. Il n'en fit rien, cependant, et après avoir décrit une courbe rejoignit le reste de la troupe .


Nous cherchons du charbon

Pendant notre séjour à Winter-Harbour, chaque fois qne nous le pûmes, nous ne manquâmes pas de chercher sur la côte des dépôts naturels de charbon. Aussi, comme le second-maître Vigneau disait avoir découvert un filon de ce combustible, je m'efforçai, à ce moment de mon voyage, de le localiser. MIais, à l'endroit signalé je ne trouvai que quelques morceaux de charbon isolés, apportés par l'eau et la glace. De filons ou de dépôts aucunes traces, ce qui ne manqua pas de nous décevoir considérablement. Car, rien ne désappointe plus que de voir des morceaux de charbon à la surface du sol, de chercher diligem­ment un filon que l'on croit voisin, puis de ne rien trouvé. Quelques jours plus tard me trouvant sur la pointe Reef en compagnie de M. Vanasse, nous vîmes, de nouveau, de ce charbon de surface, qui ressemblait à du cannel coal. Enfin, M. Vanasse en trouva aussi, apparemment de la même formation, près de la colline du N ord-Oluest.

A l'époque de l'année dont je parle, le temps, qui était beau, nous permit de recueillir un grand nombre de spécimens et de continuer les travaux que la venue du froid et du mauvais temps avait interrompus. Aussi, afin de vérifier les observations que nous avions déjà notées refîmes-nous un tour d'horizon de l'observatoire de Parry.

Le 9 juillet, avec cinq hommes, je construisis, sur la pointe Fife, un cairn de 10 pieds de hauteur où je plaçai un document relatant tout ce que nous avions fait dans ces parages, après quoi nous photographiâmes le cairn et là baie que forme en partie la pointe Fife. Seuls, de petits bâtiments peuvent mouiller dans cette baie. A ce moment la glace de la partie extérieure de la baie où était notre bâtiment fondait rapidement sous l'action de l'eau, mais elle avait encore 4 pieds d'épaisseur, cependant que dans la partie intérieure de la baie, sur les bords de lla crevasse des marées, elle en avait 5. Il n'y avait presque plus de neige ni à terre ni sur la glace. Le 12 juillet nous enverguâmes notre voile carrée. Dès lors nous nous préparâmes à quitter -Winter-Harbour le plus. tôt possible.

J’envoyai le second lieutenant et cinq hommes à l'île Dealy, pour réparer la cache qui s'y trouvait et y déposer des documents, signalant notre passage. Ces hommes devaient aussi construire des cairns sur les pointes Wakeham et Halse et sur le cap Bounty, et y laisser des documents. Quant à moi, en compagnie d'un matelot, je me rendis à terre à la recherche de charbon et constatai une fois de plus que le sol de l'île de Melville est meuble à sa surface, sans doute à cause de l'effet des glaces et du climat de la région. En cette occasion nos recherches n'eurent pas plus de succès que par le passé, car nous ne trouvâmes que quelques morceaux de charbon. Comme je me livrais à ces recherches, M. Vanasse, le second mécanicien et le second maître d'hôtel s'étaient rendus dans le même but dans la direction de la colline de la Table. Pendant que je cherchais du charbon, j’aperçus un nid de hiboux qui contenait six petits. J'en pris un et l’emportai à bord. A la même date, le second et le second-maître Lessard se rendirent à la pointe Hearne pour y laisser des documents. Eux aussi, tout en marchant, virent des morceaux de charbon, comme ceux dont nous avons parlé maintes fois. Toutes ces petites trouvailles contribuaient à me persuader qu'il existait peut-être des gisements de charbon dans ces parages. Aussi, le 17 juillet, en compagnie de A. Bouchard, je me rendis sur le lieu où le second avait aperçu des morceaux de charbon. Mais dès mon arrivée sur ce point je constatai que .des explorateurs avaient dû y établir un campement. Leur passage était signalé par des restes de vêtements en moleskine, du bois, un œillet de patte de voilure en cuivre, de vieilles boîtes de conserves en fer-blanc, et du charbon. Nous rapportâmes tous ces objets à bord pour mieux les examiner, tout en étant déçus, une fois de plus, quant à la découverte de gisements de charbon. Enfin, on ramassa aussi plusieurs morceaux de ce combustible sur la grève de la pointe Hearne. Ils y avaient été apparemment apportés par les glaces. D'après tout ce que j'ai vu de ce corps, durant notre séjour à Winter-Harbour, je suis porté à croire que ces morceaux aperçus sur plusieurs points, n'étaient pas éloignés d'une .grande masse de charbon de terre qui doit être presque en surface: peut-être même le long de la côte, en eau peu profonde, à proximité des localités où nous fîmes des recherches.

A l'époque de l'année dont je parle le temps était fort beau, et se prêtait à toutes sortes de travaux et à des excursions au loin. Aussi, M. McMiillan, le géologue de ll’expédition, décida-t-il d'aller faire des recherches sur les bords du golfe de Liddon. Il emmena, comme aide, le matelot Reuben Pike, qui passait à bord pour un débrouiillard. Pendant ce temps, J. Lessard allait jusqu'à 6 milles dans l’ouest du bâtiment, pour se rendre compte de l’état de la glace, qui, dit-il en revenant à bord, était très blanche et recouverte d’une épaisse couche d’eau. Nous étions maintenant au 20 juillet, et la débâcle commençait à se faire sentir dans la baie. Ce jour-là, bien que le vent fût du nord, nous entendîmes les premiers roulements de tonnerre de lla saison. La lecture des instruments nous démontra que la déclinaison magnétique étaiit de 940 Est, ce que nous attribuâmes à l'effet de l'électricité atmosphérique. Vers cette époque nous constatâmes la présence d'un grand lac à environ 4 milles dans le sud-ouest du bâtiment. Au retour de la promenade qui nous avait permis de faire cette découverte, nous tuâmes quatre superbes rennes avant d'atteindre le navire; puis, le 23, nous abattîmes un magnifique bœuf musqué qui, une fois dépouillé et vidé, ne pesait pas, moins de 350 llivres. Déjà arrivaient vers nous les canards et d’autres oiseaux sauvages, qui vivent dans l’’extrême nord tant que dure le court été de ces régions.