lundi 31 août 2009

But de notre voyage au nord des îles de Melville et de Bathurst

A ce moment de notre croisière il n'est pas douteux que si l'Arctic eût pu franchir le détroit Byam-Martin, qui sépare la partie nord de l'île de Melville de celle de l'île de Bathurst, nous nous, serions rendus dans l'océan Arctique. Et ce, avec d'autant plus de satisfaction que si les contours dudit détroit ont été relevés des deux côtés, et ses caps baptisés de divers noms, on n'avait pas encore recueilli de sondes en son milieu, ni fait d'observations hydrographiques. Aussi, aurions-nous aimé à déterminer, pour la première fois, la profondeur de ce détroit, à y étudier le régime des marées, et à nous rendre compte d'autres particularités qui auraient largement compensé les hasards de notre navigation en ces parages. Notons que la pointe du Succès, de l'île de Bathurst, fut un lieu de rendez-vous bien connu des divers, groupes d'explorateurs qui, en 1852-3-4, vécurent dans cette région sous les ordres de sir Edouard Belcher, durant l'hivernage de l'Assistance sur la côte nord-ouest de la terre de Grinnell; et que, si l'on avait en partie relevé l'île Finlay, au nord de l'île de Bathurst, par contre, la mer, au nord-ouest de cette île, ne fut jamais explorée.

L'Ar-ctic était en parfait état pour s'avancer dans le Nord. D'où notre espoir d'atteindre une haute latitude, pourvu qu'il nous fût raisonnablement possible de nous avancer dans le N ord-Ouest. Il m'est donc difficile de dire combien je fus déçu, lors­que, au cap Key, je me trouvais en présence de la banquise polaire, qui nous était une barrière infranchissable.

Il est peut-être opportun de dire ici, à propos des glaces, que celles de formation polaire ont été tout particulièrement étudiées par le professeur Otto Peterson, de Stockholm, président de la Commission Internationale des études maritimes. De ses recherches il a conclu que la glace marine fond au-dessous du zéro C, et parfois même, lorsque soumise à une pression, à plusieurs degrés au-dessous de ce zéro. En outre, il a observé que la glace d'eau douce, provenant de la fonte de neiges qui contiennent des impuretés, se contracte avant de fondre. Aussi, espérai-je que la glace qui nous barrait le chemin pourrait disparaître à la suite des divers phénomènes qui produisent sa fusion: influence du soleil, contraction durant l'été et action des marées et de vents; ce qui pourrait permettre à l'Arctic de s'engager en toute, sécurité dans les chenaux des banquises soumises à la débâcle. Mais, nous n'apercevions aucun indice de la rupture et de la dérive du champ de glace. Bien que l'Arctic
grâce à sa forte membrure, fut à même de se frayer un passage à travers une embâcle récente, il lui était cependant impossible d'entamer une banquise telle que celle qui existait dans le chenal Byam-Martin. Bref, les énormes glaces qui s'étendaient dans le nord et dans l'ouest nous enlevaient tout espoir de poursuivre notre voyage dans cette direction.

Cependant, si nos instructions ne nous avaient pas ordonné de croiser dans les eaux du sud que fréquentent les baleiniers, peut-être un séjour au cap Key aurait-il pu nous récompenser de nos efforts et voir se réaliser nos espérances, mais j'en doute fort. De l'endroit où nous nous trouvions dans le détroit Byam-Martin, il nous était donné de voir toutes sortes de glaces polaires, baptisées de noms variés par les explorateurs de l'extrême-nord. C'est ainsi que nous voyions de vastes hummocks, composés de glaçons aux formes angulaires jetés au hasard les uns à côté des autres, avec entre eux de la glace d'eau douce provenant de la fonte des neiges; cependant que nous apercevions, aussi, de-ci de-là, de grands champs de glace unis et parsemés d'icebergs aux flancs polis par la fusion, que la mer avait charriés. Enfin, il y avait aussi de grands amoncellements de glace que cimentaient, pour ainsi dire, les flots congelés de la mer.

Lorsque les marées et les vents mettent en mouvement d'énormes masses de glaces, irrégulières comme celles-ci, et qu'elles viennent se buter sur les côtes des îles boréales, l'aspect des véritables montagnes et précipices qu'elles forment est absolument grandiose. Certes, il est fort difficile d'entamer des amas de glace aussi considérables, cependant un jour viendra peut-être où quelque brise-glace d'une grande puissance, parviendra à se frayer un passage à travers des banquises comme celle qui nous arrêtait. Il pénètrera alors dans l'océan polaire et permettra d'en étudier la géographie, la formation et le mouvement des glaces.

mardi 25 août 2009

McClure et la perte de l’Investigator

Comme au cours du voyage de l'Arctic nous nous sommes beaucoup intéressés aux explorations antérieures, j'en dirai ici quelques mots et, en particulier, entretiendrai le lecteur au sujet de certains voyages entrepris il y a plus d'un demi-siècle. En 1850, McClure partit de Londres, en compagnie du commandant Collinson, son supérieur, à la recherche de Franklin. Ces navigateurs passèrent par le détroit de Magellan, et s'arrêtèrent à Honolulu pour y faire des provisions. Ils montaient respectivement l’Investigator et l'Enterprise qui, pour entreprendre leurs recherches, se quittèrent à Honolulu et suivirent des routes différentes. McClure, le premier, se dirigea vers le détroit de Behring et poursuivit son voyage sans attendre Collinson, bien que le capitaine Kellett, qui se trouvait alors dans ces eaux, lui ait transmis l'ordre d'attendre son chef. L'Investigator était de plusieurs jours en avance sur l'Enter-prise. Il continua son voyage vers le Nord-Est et atteignit l'île Banks dont il suivit la côte nord~est, à la recherche de Franklin. Comme il n'avait encore rien trouvé, il s'engagea dans le détroit du Prince-de-Galles, qui sépare les îles de Banks et de Victoria. Mais ayant été surpris par les glaces l'Investigator hiverna dans ce détroit, 1850-51, non loin des îles de la Princesse-Royale, par 72° 50' de latitude Nord et 117° 35' de longitude Ouest, puis, quand il put de nouveau naviguer, il suivit la côte de l'île de Banks et la contourna jusqu'au nord, atteignant la baie de la Miséricorde. I’Investigator ne devait plus en sortir, puisqu'il y fut abandonné en 1853. Depuis, il fut peut-être emporté à la dérive par les glaces.

Après avoir abandonné son navire, McClure et son équipage traversèrent le détroit qui porte son nom. Il atteignit Winter-Harbour, et y laissa des documents explicatifs, sur le rocher de Parry, dans l'espoir d'informer sir John Franklin que l'Investigator se trouvait dans la baie de la Miséricorde. Ces documents furent retrouvés par le capitaine Kellett, après que McClure eut regagné son bâtiment. Ce fut alors que le capitaine Kellett envoya le lieutenant Pim et le Dr Domville, du Resolute, à la rencontre de McClure pour l'informer que le Resolute se trouvait là l'île Dealy, à peu de distance de Winter- Harbour.

Les papiers que Kellett laissa dans une cache, à l'île Dealy et que j'ai retrouvés, contiennent une description pathétique de l'affaiblissement et de l'émaciation de l'équipage de McClure, au moment où ces gens étaient sur le point d'abandonner l'Investigator. Le commandant Kellett qui, à l'époque était le supérieur de McClure, l'engagea à faire passer ses hommes à la visite et à demander des volontaires qui consentiraient à passer une nouvelle saison à bord de l’Investigator.

Les médecins firent rapport que les hommes de l'équipage de l' Investigator se trouvaient dans un tel état physique, qu'il leur était impossible de supporter les rigueurs d'un nouvel hivernage à bord de ce bâtiment, et que si on les y obligeait il en résulterait infailliblement un désastre. Cependant, les officiers, le charpentier et quatre matelots, hommes d'un grand courage, décidèrent de ne pas abandonner le navire. Mais. comme ils ne suffisaient pas à le manœuvrer, McClure n'eut rien de mieux à faire que d'abandonner l'Investigator. Ce fut donc avec le plus grand regret qu'il abandonna son navire à l'action des glaces et du vent. Avant d'en arriver à cette extrémité il fit cependant mettre en cache les provisions pour 66 hommes pendant quatre mois. Puis, il fit mouiller le bâtiment de façon à ce qu'il put à un moment donné être porté sur un haut fond, où il supposait que l'Investigator durerait encore pendant des siècles. Le célèbre navigateur se trompait, car lorsque durant notre croisière, nous visitâmes la baie de la Miséricorde, au printemps de 1909, il fut impossible aux hommes et aux officiers, qui s'y rendirent, d'apercevoir le moindre vestige de la cache ou du bâtiment dont nous parlons.

mardi 11 août 2009

Nous débarquons au cap Hotspur


Le samedi, 21 août, nous nous trouvâmes au large du cap Hotspur et accostâmes à une banquise apparemment très vieille. De là, nous pouvions apercevoir dans le Nord la pointe du Succès. A 8 h. du matin, je débarquai avec quelques hommes, construisis un cairn à environ un quart de mille du cap Hotspur et y laissai un document signalant notre passage. Je crois que jamais aucun bâtiment ne se rendit aussi au nord dans ce détroit, dont la côte fut suivie et relevée en traîneau ou à pied, alors qu'on en baptisa les points saillants, les caps, les golfes, etc.
En même temps, MM. Jackson, McMillan et deux hommes débarquaient d'une autre embarcation, le premier pour faire des observations magnétiques, le second pour chercher des spéci­mens de minéralogie.


Gestes des premiers explorateurs de l'Amérique arctique, d'après des documents trouvés à Winter-Harbour, sur l'île Dealy, etc.

Le moment de reprendre notre croisière dans les eaux boréales était arrivé. Aussi, l'Arctic allait-il maintenant naviguer, non sans difficultés, à travers des détroits et des pertuis encombrés de glace flottante. Comme j'avais lu les récits des navigateurs qui s'étaiet efforcés de découvrir les passages du Nord-Est et du Nord-Ouest, je m'attendais désormais à rencontrer de vastes champs de glace dérivant au gré des marées, et qui pourraient bien barrer notre chemin. Je dois dire, cependant, que j'entretenais quelque espérance de succès, attendu que les eaux où nous nous trouvions ne m'étaient pas inconnues, et que dans un précédent voyage je m'étais familiarisé avec les côtes de ces parages. J'avais, en outre, pris connaissance des relevés géographiques de cette partie du continent fais en ;1819- 20 par les fameux pionniers Parry et Liddon. Je n'ignorais pas, non plus, la configuration de l'île de Melville, celle des deux côtés du détroit de Lancastre et les relevés faits par les intrépides marins qui, de 1850 à 1854, recherchèrent les tr,aces de l'expédition de sir John Franklin et du capitaine Crozier.

J'étudiais alors sur place ce qu'avaient fait, avec de grandes difficultés non exemptes d'incertitude, les marins illustres que j'admirais,: Kellett, McClure, McClintock et Collinson.. J'étais curieux et très fier de pouvoir vérifier l'exactitude des rapports publiés par Parry, au sujet de son fameux voyage, et ceux dus aux commandants Kellett et McClintock-du Resolute et de l'Intrepid,--que le commandant Belcher avait chargés d'explorer: la partie ouest de l'île de Melville, les îles du Prince Patrice, de Bathurst, de Cornwallis, de Banks, de Victoria et toutes les petites îles de l'archipel.

Je ferai remarquer ici que les explorations poussées le plus au nord furent celles des officiers: Osborne, Hamilton et Richards que commandait Belcher, dont le navire l'Assistance hiverna dans Northumberland-Sound sur la côte nord-ouest de la terre de Grinnell. Au cours de ces différentes explorations des rendez-vous avaient été fixés: à la pointe du Succès, sur la partie Nord-Ouest de l'île Bathurst, et sur l'île Beechey, dans le détroit de Barrow. Le commandant Belcher qui était resté à bord de son bâtiment dans N orthumberland-Sound, communiquait avec les explorateurs à l'aide de traîneaux qu'il envoyait aux points de rendez-vous susdits. Il faut dire aussi que le navire North Star, capitaine Pullen, avait été envoyé au rendez-vous de l'île Beechey, où il tenait lieu de magasin de provisions, et qu'une habitation, devant servir de magasin proprement dit, avait été construite au même endroit.

jeudi 6 août 2009

Nous débarquons sur l'île Byam-Martin

Le 19 août, nous nous engageâmes entre les glaces et l'île Byam-Martin, et, grâce à maints efforts et à une vigilance continuelle, nous pûmes enfin naviguer librement et mettre le cap sur la pointe Gillman de l'île Byam-Martin, puis ancrer à 2 milles à l'ouest de cette pointe, par des fonds de 15 brasses. Je débarquai à la pointe Gillman et y trouvai le document que j'y avais laissé au cours du voyage de 1906. J'y joigni,s une nouvelle pièce, qui décrivait notre séjour à Winter-Harbonr, la date de notre départ de cette localité, les 60 milles de route que nous .avions faits dans le chenal Byam-Martin, et ceux qui nous avaient ramenés au sud de l'île de ce nom. Pendant que nous étions à mettre à leur place les documents dont je parle nous nous aperçûmes que la glace dérivait à l'horizon, aussi retournâmes-nous à bord en toute hâte. Cependant, notre .courte descente à terre, sur l'île Byam-Martin, avait suffi à nous faire remarquer des pistes de bœufs musqués et de rennes et aussi à nous permettre de ramasser des morceaux de charbon.

Afin de mettre notre bâtiment en sûreté nous naviguâmes vers l'Ouest et mouillâmes au large. Le vendredi, 20, je remarquai que la glace dérivait maintenant de l'Est à l'Ouest sans cause apparente. Son déplacement se faisait à la vitesse approximative d'un demi-mille à l'heure, par vent du nord-nord-est. Nous étions par 750 6' de latitude Nord et 1040 de longitude Ouest. Mon plus grand désir était maintenant de faire voile vers le Nord, par les détroits Byam-Martin et Austin, où j'aurais voulu recueillir des, sondes afin de me rendre compte si les fonds s'élèvent ou s'abaissent en montant vers le Nord-Ouest, ce qui m'aurait permis de me faire une idée de la topographie des territoires ou îles au nord-ouest des îles de Melville et de Bathurst. Ce désir ressemblait fort à de l'entêtement, vu que par deux fois déjà nous avions tenté de réaliser ce projet, mais je ne l'abandonnai pas encore, et décidai de remonter le détroit susdit aussi loin que les glaces me le permettraient.