lundi 27 avril 2009

Dure semaine pour O. J. Morin et ses compagnons

28 avril. Température: 2 heures du matin; 7 degrés au-dessous de zéro; vent de l'ouest de 5 à 6 milles à l'heure. J'envoie sur la pointe Peel, de l'île de Victoria, mes deux compagnons de route, Napo­léon Chassé et Ruben Pike, pour qu'ils prennent possession de cette île au nom du Canada, et visitent le cairn qui y fut érigé, en 1851, par le capitaine Collinson. Quant à moi, traversant le détroit du Prince de Galles sur de la glace unie et récente, je me rendis sur la montagne de l'Observation, ainsi nommée par McClure et située sur la côte Est de l'île de Banks à 16 milles de l'entrée du détroit. Au cours de cette journée, je vis sur le détroit: deux ours polaires et trois lièvres. Mais je cherchai en vain le cairn érigé en 1850, par McClure, sur la montagne de l'Observation, dont le sol a la même composition que celui de la pointe Russell, ce qui me con­duisit aux mêmes conclusions quant à la destruction probable du cairn érigé sur cette montagne. Après quatre heures de recherches, je rebroussai chemin, mais une terrible tempête s'élevait sur ce désert glacé, et la neige fine poussée par le vent du nord m'aveuglait presque complètement. Je poursuivis ma route à travers le détroit jusque sur le côté Est du cap Parker, et n'atteignis notre campement qu'après avoir marché 33 heures. J'étais épuisé et souffrais d'un commencement d'ophtalmie causé par la vue de la neige. C'est à peine si je pouvais voir quoique ce fut. Il était maintenant 11 heures du matin, le 29 avril. Mes camarades atteignirent la pointe Peel de l'île de Victoria, et revinrent au campement après un voyage de 36 heures. Ils prirent possession de l'île, mais n'ayant pu retrouver le cairn de Collinson, ils ne laissèrent aucun docu­ment signalant leur passage à cet endroit. Du reste, pour ériger un cairn de quelque durée la pierre leur faisait totalement défaut. La température était de 12 degrés au-dessous de zéro et le vent, du Nord-Ouest, d'une vitesse de 35 à 40 milles à l'heure. En notre absence des ours blancs visitèrent notre hutte de glace, et détrui­sirent les couvertures dont nous avions recouvert notre traîneau et le toit de notre hutte. En outre, ils avaient mis en pièces nos sacs-couchettes et dévoré presque toutes nos provisions de bouche. Aussi, nous empressâmes-nous de ramasser tout ce que nous pûmes trouver, c'est-à-dire: 33 biscuits, une boîte de jambon en conserve de 5 livres, et 4 livres d'extrait de bœuf concentré. Quant au pétrole, tout ce que nous en possédions il était contenu dans le réservoir de notre poêle. C'était ce qui nous restait, en fait d'aliments, pour retourner au cap Providence en traversant le détroit de McClure, c'est-à-dire pour parcourir de 60 à 65 milles, sur l'étendue de glace la plus accidentée que l'on puisse imaginer. Cependant, nous ne manquions pas de courage, et par un beau temps, même sans pro­visions, à la grâce de Dieu, nous résolûmes d'entreprendre notre voyage de retour, dès le lendemain matin.


29 avril. Température: 8 heures du matin, 4 degrés au-dessous de zéro; vent d'ouest d'environ 50 milles à l'heure; terrible tempête de neige fine sur le détroit. Il nous est impossible de partir; nous décidons de dîner d'un biscuit chacun; et, la nuit venue, nous nous retirons dans notre hutte de neige, sans craindre une indigestion, on peut en être assuré.
30 avril. Température: 8 heures du matin, 6 degrés; vent du nord-ouest de 15 à 16 milles à l'heure. Dans les conditions où nous nous trouvions, je décidai d'abandonner le projet que nous avions conçu de nous rendre aux îles de la Princesse Royale, par le détroit du Prince de Galles, pensant qu'il serait plus sage de retourner au cap Providence, point le plus rapproché où nous pourrions nous appro­visionner, quitte à entreprendre ce voyage par la suite, si nous le jugions à propos. A 4 heures du matin, nous nous mîmes donc en route, après avoir placé, dans une bouteille, les documents qui établis­saient notre prise de possessions des îles de Banks, de Victoria et du roi Guillaume; bouteille que nous mîmes près d'un rocher élevé, à 5 milles à l'ouest de la pointe Russell, et que nous recouvrîmes de pierres formant cairn. Nous dirigions maintenant nos pas dans la direction du détroit de McClure. Après quatre heures de marche nous dûmes nous réfugier pour la nuit dans un ravin à la neige épaisse. A ce moment-là nous souffrions tous trois d'une ophtalmie aigüe.

1er mai. Température: le matin, 6 degrés au-dessous de zéro; vent nord-ouest d'une vitesse de 25 à 30 milles·à l'heure; à midi, 2 degrés au-dessous de zéro, et peu après de nouveau 6 degrés et vent violent continuel qui, au-dessus du détroit, remplit l'atmosphère de neige fine. La nuit précédente avait été très dure pour nous dans notre hutte de neige, car nous n'avions plus ni couvertures ni com­bustible. Il nous était impossible de nous servir de notre poêle, et nous ne pûmes même pas dormir une heure. De grand matin nous reprîmes notre marche et parcourûmes deux milles. Ce fut à ce moment que notre voyage fut le plus pénible et que nous eûmes le plus à souffrir, la vue continuelle de la neige nous ayant presque aveuglés. Quant aux aliments ils nous manquaient presque complète­ment. Il ne nous restait plus que quelques biscuits.

2 mai. Température: de 12 à 8 degrés au-dessous de zéro; vent du nord-est de 16 à 18 milles à l'heure. A 2 heures du matin nous dûmes quitter notre hutte de neige, nous sentant dans l'impossibilité de pouvoir, au repos, endurer plus longtemps le froid intense qu'il faisait. Nous marchâmes donc jusqu'à 3 heures de l'après-midi et parcourûmes neuf milles, souffrant beaucoup de la soif, ce qui est encore pire que la faim.

lundi 20 avril 2009

Expédition à -20

Lors de la dernière chronique, nous avons vu que le capitaine Bernier mettait en branle trois expéditions en traîneaux. Cette semaine, grâce au rapport de O. J. Morin, responsable d’une des expéditions nous suivrons quotidiennement un de ces groupes.


20 avril.Température: 20 degrés au-dessous de zéro; vitesse du vent, 5 à 6 milles à l'heure. Nous avons, aujourd'hui, marché longtemps avec la plus grande difficulté, n'avançant que de 5 milles. Etant partis du campement à 1.30 du matin, nous ne nous sommes arrêtés qu'à 2.30 de l'après-midi. A cause du mauvais état de la glace, nous avons été obligés de porter nos provisions par fractions, de mille en mille, ce qui nous a obligés à retourner plusieurs fois sur nos pas. La glace devant nous avait la forme de pyramides ou de pics et ar­rêtait considérablement notre marche. A midi, nous nous trouvions à 19 milles de l'île de Banks. Je profitai d'une éclaircie et de la pré­sence du soleil pour déterminer la latitude à laquelle nous nous trou­vions.


21 avril. Température: 12 degrés au-dessous de zéro; vent d'est de 12 milles à l'heure. A 7 heures du matin, nous quittons notre hutte de neige et marchons jusqu'à 3 heures de l'après-midi, pour franchir 6 milles de route. La glace étant encore très accidentée et, une tempête s’étant élevée, nous n'avons guère vu notre chemin à plus de 20 pieds autour de nous, dans toutes les directions; la neige poussée par le vent nous aveuglant, nous fûmes obligés d'établir de bonne heure notre campement pour la nuit. Nous nous portons tous bien malgré les fatigues du voyage.


22 avril. Température: 12 degrés au-dessous de zéro; vent de l'ouest de 11 à 12 milles à l'heure. Il a beaucoup neigé toute la nuit dernière, et il neigeait encore ce matin lorsque nous nous sommes remis en route. Nous nous sommes arrêtés à midi, comme la tempête22 tirait sur sa fin et que le ciel s'éclaircissait, ce qui, pour la seconde fois, nous a permis d'apercevoir l'île de Banks, dont notre campe­ment n'est plus qu'à deux milles. Au moment où nous nous arrêtons la température est de 8 degrés au-dessous de zéro.


23 avril. Température: 8 heures du matin, 12 degrés au-dessous de zéro; vent de l'ouest de 15 à 16 milles à l'heure; beau temps, ciel clair et soleil brillant. Une observation astronomique nous montre que nous nous sommes quelque peu écartés de notre route, et que nous nous trouvons en face de l'entrée de la baie que terminent d'un côté le cap Sandon et de l'autre le cap Parker. Ici, la glace est récente, unie et ne date que de l'hiver dernier. Nous avons quitté cet endroit à 9 heures du matin et voyagé jusqu'à 3 heures de l'après-midi, nous trouvant alors un peu à l'ouest du cap Parker: de nouveau en présence de glace accidentée. Nous nous arrêtons et établissons notre campe­ment pour la nuit, n'étant plus qu'à 16 milles de la pointe Russell, terme de notre expédition.

24 avril. Température: 8 heures du matin, 4 degrés; vent de l'ouest. Nous nous sommes remis en route à 7 heures du matin, sur de la glace très accidentée, et ne nous sommes arrêtés qu'à 8 milles de la pointe Russell. Comme le temps était très clair, je pris une photographie du cap Parker. A 5 heures de l'après-midi, nous nous arrêtons pour préparer notre campement. Une fois de plus, à cause du mauvais état de la glace, nous avons été obligés de transporter à dos nos provisions.

25 avril. Température: 8 heures du matin, 17 degrés; vent de l'ouest de 16 à 17 milles à l'heure. Nous nous sommes mis en route à 5.30 et ne nous sommes arrêtés qu'à 4 heures de l'après-midi, n'ayant franchi que trois milles avec les plus grandes difficultés. Nous sommes épuisés, et notre campement n'est plus qu'à 5 milles de la pointe Russell. Il est impossible de décrire l'aspect chaotique de la glace et des bancs de neige, formés par la dernière tempête et où nous nous enfonçons souvent jusqu'au cou. Néanmoins, nous sommes dans de bonnes dispositions d'esprit à l'idée que demain, très proba­blement, nous atteindrons notre but.

26 avril. Malgré une tempête qui s'est élevée, nous nous remet­tons en route à 9 heures du matin. A Il h. 30 m. nous campons, après avoir parcouru un mille et demi. Nous ne sommes plus qu'à environ 1. mille de la côte et à 4 ou 5 milles de la pointe Russell. A 3 heures de l'après-midi, le temps s'étant éclairci, nous nous dirigeons vers la pointe Russell, où je cherche le cairn érigé, en 1850, par sir Robert Lemesurier McClure. Mais, après quelques heures de recherches infructueuses, je dus abandonner l'espoir de le retrouver: ce cairn ayant probablement disparu, soit que le sable l'eût recouvert ou que le vent l'ait détruit. En tous cas, nous n'en pûmes découvrir aucun vestige sur la surface sablonneuse et graveleuse de la pointe Russell, où, en 1850, il fut apparemment difficile de trouver assez de pierres pour y construire un cairn, qui, de gravier et de sable, n'aurait pu résister à l'action des vents violents fréquents à cet endroit.

lundi 13 avril 2009

Expédition en traîneau à l’Île de Banks

Le mardi, 30 mars, nos groupes de voyageurs, qui étaient prêts, quittèrent le navire. Je pris le commandement d'un traîneau et confiai les deux autres, l'un à O. J. Morin, second lieutenant, et l'autre à Chas. W. Green, troisième lieutenant. En outre de ces officiers, les divers groupes de l'expédition se com­posaient des seconds-maîtres Joseph Lessard, Napoléon Chassé, Vigneau, et de 11 hommes. Le premier jour, nous parcourûmes treize milles et nous arrêtâmes pour camper au cap Phipps, près d'un grand iceberg, à 9 milles à l'ouest de la Pointe Hearne. Le jour suivant, le temps parut menaçant, et comme dans la matinée nous nous aperçûmes que nos traîneaux nécessitaient un meilleur arrimage et que les paquets de biscuits que nous venions d'ouvrir ne pouvaient convenir à un voyage aussi dangereux que celui qu'allaient entreprendre MM. Morin et Green avec leurs hommes, nous nous décidâmes à rebrousser chemin et à rejoindre l'Arctic.


Nous remplaçâmes un de nos traîneaux par un autre de ces véhicules, muni de patins garnis d'os de baleine, que nous char­geâmes de provisions dans l'intention de reprendre le voyage qui avait donné lieu à un faux départ. Il continuait à faire froid, et il ventait. La neige s'amoncelait. À ce moment, le second-maître Lessard tomba malade et nous le remplaçâmes par le chauffeur Robson. Les 2, 3 et 4 avril, le vent fut très fort et parfois tempétueux, mais le 6, comme le temps était redevenu calme, les divers groupes d'explorateurs partirent de nouveau dans l'intention de traverser le détroit de McClure. M. Morin, second lieutenant, prit cette fois le commandement du traîneau No 1; M. Green, troisième lieutenant, celui du traîneau N° 2; le second-maître Chassé, celui du traîneau N° 3, et le second-­maître Vigneau, celui du traîneau N° 4. Enfin, un cinquième groupe des membres de l'équipage partit avec les quatres traî­neaux pour prêter leur aide pendant une partie du trajet.


lundi 6 avril 2009

Du 20 février au 4 mars 1909

… Le 20, nous mesurâmes la glace: elle avait 77 pouces d’épaisseur. Ce jour-là, M. William E. Jackson traça une ligne de comparaison sur le rocher Pany, destinée à servir de repère pour l’étude des marées. Nous mesurâmes, à l’aide d’un compte-pas, la distance qui séparait ce rocher de notre bâtiment: elle était de 5,094 pieds. Le sommet du rocher se trouvait à 52 pieds au-dessus du niveau de la mer.
J’employai maintenant mes hommes à charrier de la pierre à bord, pour lester le navire, pensant que cela les entraînerait à mieux supporter les futures marches du printemps, tout en leur procurant sur le moment un excellent exercice. Je dirai ici, en passant, que nous avions sur l’Arctic trois matelots qui excel­lent à faire des modèles de navires et à les gréer. Ils se livrè­rent à ce passe-temps. Le Norvégien John Anderson fit preuve de la plus grande habileté dans cet art.
Durant la dernière quinzaine de février, il fit très froid: 40 degrés au-dessous de zéro par un vent violent.
Le 1er mars, il fit mauvais temps et le vent souffla du sud­-est. Le 2, le temps s’améliora: Pike et Goulet étant allés à la chasse, eurent la chance de tuer deux rennes qui pesaient chacun 90 livres. …

… Le 4 mars, M. Jackson fit planter sa tente destinée aux observations météorologiques et, avec M. Green, je fis trans­porter la croix que nous avions faite pour commémorer l'an­nexion de l'archipel arctique au Canada. Cette croix fut érigée sur la colline du Nord-Est, à Winter-Harbour, et sa base fut consolidée avec des pierres. Comme il faisait très beau, de la colline où nous étions nous pûmes apercevoir le relief monta­gneux qui suit la direction nord-nord-ouest quart ouest, de l'autre côté du golfe de Liddon. Parry a ainsi nommé ce golfe en souvenir du lieutenant Liddon, qui commanda le Gripper.

À suivre